Numérique français en 2025 : entre ralentissement brutal et nouveaux leviers de croissance

Les voyants du numérique français virent à l’orange. Les entreprises du secteur constatent un ralentissement brutal des investissements alors même que les technologies stratégiques – cloud, cybersécurité, IA générative – progressent à grande vitesse. Derrière ce paradoxe se dessine une recomposition des équilibres entre éditeurs, ESN et ICT. Le point d’étape livré par Numeum en juillet 2025 révèle une photographie contrastée, riche d’enseignements pour les professionnels de l’IT.
Un secteur numérique sous tension : état des lieux 2025
Une croissance fortement révisée à la baisse
L’année 2025 marque un tournant. Numeum avait annoncé fin 2024 une prévision de croissance de +4,1 % pour le secteur numérique. La révision de mi-parcours abaisse cette projection à +1,8 %, un chiffre presque divisé par deux.
L’écart apparaît d’autant plus flagrant lorsqu’on compare à la performance de 2024, où le secteur avait encore progressé de +3,5 %. La tendance s’inverse donc nettement, traduisant un ralentissement généralisé des investissements technologiques.
Derrière ce décrochage se lit un phénomène inquiétant : les entreprises clientes réduisent la voilure sur leurs budgets IT, hésitent à engager de nouveaux projets et se limitent à des arbitrages défensifs. En conséquence, les carnets de commandes s’amenuisent et la dynamique qui avait porté le numérique français depuis la sortie du Covid s’essouffle.
Dynamique contrastée selon les acteurs

Cette décélération n’affecte pas tous les acteurs de la même manière.
Éditeurs de logiciels et plateformes : ils tirent leur épingle du jeu avec une croissance robuste de +8,2 %. Deux leviers expliquent cette résistance. D’abord, l’expansion continue du cloud – qu’il s’agisse de SaaS, PaaS ou IaaS – qui s’impose désormais comme une norme dans les stratégies IT. Ensuite, l’inflation des coûts, notamment sur les abonnements logiciels, qui gonfle mécaniquement les revenus.
ESN (Entreprises de Services du Numérique) et ICT (Ingénierie et Conseil en Technologies) : à l’inverse, ces acteurs accusent un net recul. Les projets confiés sont moins nombreux, plus courts et souvent amputés de leurs ambitions initiales. La baisse des nouveaux contrats fragilise la capacité de ces entreprises à maintenir leur niveau d’activité et d’emploi.
Ce contraste souligne une rupture préoccupante dans la chaîne de valeur. Traditionnellement, l’innovation logicielle entraînait mécaniquement des projets d’intégration, de déploiement et de services associés.
En 2025, ce lien se distend : les investissements logiciels ne se traduisent plus systématiquement par des missions pour les prestataires de services. Un signe supplémentaire que le marché se fragmente et que les modèles de croissance historiques perdent de leur cohérence.
Signaux d’alerte pour l’écosystème
Carnet de commandes et projets en baisse
Les indicateurs opérationnels des ESN et ICT affichent donc une dégradation nette. Les entreprises interrogées signalent une réduction du nombre d’appels d’offres et une raréfaction des projets de transformation d’envergure.
Les grandes initiatives structurantes, qui mobilisaient auparavant des équipes sur plusieurs années, laissent place à des missions plus modestes, limitées dans leur périmètre fonctionnel et dans leur durée.
Les budgets suivent la même logique. Les DSI privilégient des investissements tactiques, calibrés pour répondre à des besoins immédiats, plutôt que des plans de transformation en profondeur. Conséquence : des projets plus courts, des marges réduites et un effet domino sur la rentabilité des prestataires.
Impact sur l’emploi et le recrutement

Le ralentissement des commandes se traduit mécaniquement par un coup d’arrêt sur l’emploi. Les plans de recrutement se contractent, en particulier pour les jeunes diplômés, alternants et profils en reconversion. Une tendance préoccupante, car elle affaiblit les efforts d’attractivité déployés depuis plusieurs années pour attirer de nouveaux talents vers les métiers de la Tech.
Les données confirment une rupture brutale : la croissance nette d’emplois observée en 2022 et 2023 s’efface. L’année 2024 marque déjà une annulation des créations nettes, et 2025 prolonge cette dynamique négative.
Le secteur retombe ainsi à des niveaux comparables aux grandes crises passées – 2008 lors de la crise financière mondiale, ou encore 2002-2003 après l’éclatement de la bulle internet.
Pour les professionnels du numérique, cette contraction signifie un marché du travail plus compétitif, où les recruteurs privilégient des profils expérimentés au détriment des entrants.
Secteurs clients en repli
L’analyse sectorielle met en évidence deux piliers historiques en fort ralentissement :
Manufacturing et banque : à eux deux, ces secteurs concentrent près de 50 % des dépenses IT en France. Or, ils enregistrent une décroissance marquée, ce qui pèse directement sur l’ensemble de la filière numérique.
Autres industries : commerce, services, télécoms et aéronautique affichent également un repli, accentuant la contraction globale.
Quelques zones résistent malgré tout. La défense profite du contexte géopolitique et soutient une demande stable, tandis que l’assurance et la santé maintiennent une activité légèrement positive. Ces poches de résilience ne compensent cependant pas la chute des secteurs dominants, laissant l’écosystème globalement fragilisé.
Comportement des DSI et arbitrages budgétaires
Budgets en légère hausse mais contraints
Les Directions des Systèmes d’Information affichent des budgets en progression modérée, entre 0 et +5 %. Une augmentation en trompe-l’œil : elle compense principalement l’inflation des coûts salariaux, la hausse des prix des logiciels et les prestations externes plus onéreuses.
En réalité, cette enveloppe supplémentaire ne génère pas de nouveaux projets ambitieux. Les DSI entrent dans une logique d’arbitrage permanent de leurs portefeuilles : certaines initiatives sont réduites, d’autres repoussées ou annulées, pour préserver les investissements jugés prioritaires.
Priorités d’investissement

Les domaines qui conservent leur place dans les budgets traduisent les préoccupations stratégiques des entreprises :
Cybersécurité : les menaces accrues, amplifiées par un contexte géopolitique tendu, rendent indispensable le renforcement des dispositifs de protection.
Cloud et data : le « move to cloud » continue de progresser, soutenu par des besoins d’élasticité et d’optimisation des infrastructures. La valorisation des données reste également au centre des feuilles de route.
IA générative : présente dans les discours et expérimentée dans de nombreux pilotes, elle demeure majoritairement à l’état de projets exploratoires. Les passages à l’échelle restent freinés par le manque de ROI démontré, les questions de cybersécurité et la rareté des compétences spécialisées.
Focus sur l’IA générative et l’innovation
Adoption encore prudente
L’IA générative, justement, occupe désormais une place incontournable dans les discussions stratégiques des DSI. Les entreprises multiplient les initiatives, mais la plupart se limitent encore à des proofs of concept (POC) ou à des expérimentations confinées à certains métiers. Le passage à l’échelle reste rare, ce qui confirme une phase d’exploration plutôt qu’une transformation de fond.
Les freins sont multiples. Le manque de compétences spécialisées freine l’exécution des projets, alors que le marché de l’emploi peine déjà à absorber les besoins en data, cloud et cybersécurité.
À cela s’ajoute une difficulté récurrente : identifier des cas d’usage à ROI mesurable. Les directions IT redoutent de déployer des solutions coûteuses sans retour tangible.
Enfin, la cybersécurité constitue une source majeure d’inquiétude. L’intégration de modèles génératifs soulève des risques liés à la confidentialité des données, à l’intégrité des modèles et aux failles potentielles qu’exploiteraient des attaquants.
Pour autant, la tendance est claire : semestre après semestre, la proportion d’entreprises déclarant avoir engagé des projets d’IA générative progresse. L’effet d’entraînement est déjà visible, même si l’investissement reste pour l’heure fragmenté.
Start-ups et innovation verte

En parallèle, Numeum observe la dynamique des start-ups technologiques via son observatoire dédié. Les indicateurs montrent une légère baisse du nombre de jeunes pousses classées dans les catégories A et A+, signe d’un environnement de financement plus contraint et d’un marché plus sélectif.
Toutefois, certaines filières résistent et tirent même leur épingle du jeu. Les start-ups positionnées sur la transition énergétique et environnementale affichent des performances stables, voire en progression. Trois domaines en particulier concentrent les dynamiques positives :
Energitech : solutions d’optimisation énergétique et de production décarbonée.
Water management : gestion intelligente des ressources hydriques.
Technologies environnementales au sens large, de la gestion des déchets aux solutions de monitoring écologique.
Ces secteurs démontrent que l’innovation ne se limite pas aux usages numériques traditionnels. Elle s’étend à des enjeux systémiques – énergie, eau, climat – qui résonnent directement avec les impératifs de durabilité. Pour les acteurs IT, ces initiatives dessinent aussi des opportunités de collaboration et de diversification.
Défis et leviers stratégiques pour les acteurs du numérique

Accessibilité numérique : un retard préoccupant
Le constat frappe : seuls 38 % des éditeurs déclarent une conformité avec le RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité). Autrement dit, la majorité des solutions logicielles déployées en France ne respectent pas encore les standards d’accessibilité.
L’enjeu dépasse le cadre réglementaire. Certes, la législation européenne se durcit, notamment avec l’European Accessibility Act qui imposera bientôt des obligations renforcées aux entreprises, y compris privées. Mais l’accessibilité représente également un levier social – offrir des services inclusifs – et un levier économique, puisque des plateformes accessibles gagnent en robustesse, en qualité d’expérience utilisateur et en potentiel d’adoption.
En d’autres termes, le retard actuel risque de se transformer en handicap concurrentiel si les acteurs du numérique tardent à intégrer cette dimension dans leurs priorités.
Recentrage et adaptation des stratégies
Face à un marché contracté, les entreprises du numérique réajustent leurs positions.
ESN : beaucoup choisissent de resserrer leur portefeuille de clients autour de comptes stratégiques. Elles privilégient les projets d’automatisation et d’intégration de l’IA pour améliorer la productivité et réduire leurs coûts, répondant ainsi aux attentes d’optimisation des DSI.
ICT : plus exposées à la volatilité de la demande, elles amplifient les cycles économiques. Les secteurs clients comme l’automobile, l’aéronautique et les télécoms, déjà en difficulté, aggravent leur fragilité.
Nearshore : la pression sur les coûts favorise un recours croissant au Maghreb et à l’Europe du Sud. Ces zones bénéficient de coûts compétitifs, d’une proximité culturelle et géographique, et commencent à supplanter l’Europe de l’Est, où les salaires ont fortement augmenté depuis cinq ans.
Perspectives et messages clés
L’année 2025 apparaît donc comme une période difficile pour le numérique français : baisse du volume de projets, contraction de l’emploi, pression accrue sur les prix. Le secteur encaisse un ralentissement durable qui remet en question ses trajectoires de croissance des années précédentes.
Pour autant, certains signaux positifs demeurent. La croissance soutenue du SaaS et du Cloud confirme leur rôle structurant. L’IA générative progresse dans les feuilles de route, même si elle reste encore expérimentale. L’innovation liée à la transition énergétique conserve également un potentiel d’attraction, porté par les start-ups de l’energitech ou du water management.
Numeum lance néanmoins un message clair : la France ne pourra préserver sa compétitivité sans investissements accrus dans le numérique. Le risque, de facto, consiste à creuser l’écart avec les économies plus avancées, comme les États-Unis où le numérique pèse déjà 10 % du PIB (contre 5,5 % en France).
Cet article est un résumé exhaustif de la vidéo « Chiffres marché - Tendances et perspectives marché du numérique S1 2025 » by Numeum
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