Femmes dans la Tech : comment sortir de l’ombre et reprendre le contrôle

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Une femme qui code ? Ça étonne encore. Une femme qui lead une équipe de devs, moins encore. Pourtant, elles sont là - compétentes, formées, légitimes - mais trop souvent poussées hors-champ ou confinées à des rôles périphériques. Revaloriser leur place dans la tech ne relève ni du miracle ni du discours : c’est une mécanique d’actions, de stratégies concrètes et de prises de parole assumées.

Invisibilisées par défaut, effacées par le système : état des lieux et racines du problème

Une présence historique effacée des récits


Ada Lovelace a conçu le tout premier algorithme. Grace Hopper, pionnière du langage compilé, a façonné les fondations du COBOL. Les six programmeuses de l’ENIAC, en pleine Seconde Guerre mondiale, ont codé le premier ordinateur électronique… et pourtant, aucune n’a marqué les manuels grand public. Leur contribution reste en marge, reléguée aux notes de bas de page, quand elle n’est pas tout simplement attribuée à leurs collègues masculins.

Ce silence historique n’est pas un oubli : c’est un effacement. Un effacement organisé par des récits technologiques exclusivement masculins, où les rôles féminins deviennent anecdotiques, voire décoratifs. 

Même l’archétype du hacker, nourri par la pop culture des années 90, perpétue une masculinité solitaire et géniale, à laquelle les femmes ne peuvent pas s’identifier.

Quand l’informatique est devenue « masculine »

Jusqu’au début des années 1980, les femmes représentaient une part significative des effectifs techniques en informatique. L’arrivée massive des ordinateurs personnels dans les foyers a modifié la donne. 

Le marketing de l’époque, entièrement orienté vers les garçons, a redéfini l’image de l’informaticien comme un homme, blanc, jeune, geek — un archétype rapidement intériorisé par les filières de formation, les enseignants, les recruteurs.

Ce glissement culturel s’est traduit par une baisse radicale des inscriptions féminines en écoles d’ingénieurs et une stigmatisation des compétences des femmes dans le code. L’informatique a muté : d’un métier « caché » dans les back-offices à un secteur prestigieux, bien rémunéré, désormais occupé par les hommes.

Des chiffres qui stagnent malgré les promesses

En 2024, les femmes représentent 17 % des effectifs techniques dans la tech française (Gender Scan). Pas de bond, à peine une progression : +1 point en cinq ans. Et derrière ce pourcentage se cachent des disparités inquiétantes.

Certains métiers plafonnent à moins de 15 % de femmes :

  • Développement logiciel : entre 12 % et 15 %

  • DevOps et Cloud : autour de 10 à 12 %

  • Cybersécurité : 14 % en 2023 (contre 11 % en 2021 => ANSSI)

D’autres attirent davantage — mais pour de mauvaises raisons :

  • Data science et IA : 22 %, souvent via les sciences sociales ou l’analyse métier

  • Product Management : 30 %, perçu comme plus « relationnel » (Theproductcrew)

  • UX/UI Design : 40 %, en lien avec les injonctions à l’empathie et au « care »

Cette répartition s’explique moins par l’appétence que par la construction sociale des rôles et des compétences.

Par ailleurs, les reconversions féminines explosent : 45 % des femmes formées au numérique ne viennent pas d’un cursus tech initial. Ce chiffre souligne une volonté forte de rejoindre le secteur… mais aussi le découragement précoce à s’y orienter dès le départ. 

L’injonction au choix impossible entre ambition et altruisme

Dans le système actuel, une femme doit choisir : briller ou plaire. Grandir ou rester à sa place. Ambition et altruisme forment un couple impossible.

Ce tiraillement s’inscrit dans un standard masculin par défaut. Il dicte la forme des outils, des logiciels, des paramètres techniques — jusqu’à la taille d’un champ de prénom dans une base de données. 

C’est la raison pour laquelle l’ambition féminine reste souvent perçue comme une anomalie. Trop visible, trop exigeante, trop « dangereuse » pour la cohésion d’équipe. Elle suscite méfiance, surveillance, critiques de personnalité. En parallèle, les femmes continuent d’assurer des tâches invisibles (accueil, logistique, animation, communication, prise en charge émotionnelle) rarement valorisées dans les entretiens d’évaluation.

Ce phénomène a un nom : le glue work. Ce « travail qui tient l’équipe », mais ne donne jamais accès aux postes clés. Pire : il sert de tremplin vers des fonctions dites « naturelles » pour les femmes — chefferie de projet, scrum, RH — là où le pouvoir technique et financier se concentre ailleurs.

Enfin, nombre de femmes subissent l’effet Matilda : leurs idées reprises par des collègues masculins, leurs apports invisibilisés, leurs crédits d’auteurs dissous dans le collectif. Travailler ne suffit pas. Il faut se battre pour exister.

Stratégies individuelles pour gagner en impact sans perdre son intégrité

Résister aux scripts de genre au quotidien

Les gestes gentils, les services rendus, les attentions constantes… Ces comportements valorisés socialement deviennent des pièges professionnels pour les femmes. Trop de collaboratrices sacrifient leur temps de production pour ranger, organiser, écouter, accueillir. Ces tâches nourrissent l’équipe mais affaiblissent les bilans.

Refuser n’a rien d’hostile. Poser des limites ne signifie pas manquer d’esprit d’équipe. C’est un acte de lucidité stratégique. Dire non, redistribuer les responsabilités, nommer la glue work, revient à réclamer une répartition équitable de la charge mentale professionnelle.

Par ailleurs, le sexisme ordinaire use, lentement mais sûrement. Interruption en réunion, infantilisation, remarques sur l’apparence, déni de compétence… 

Faire carrière sans s’excuser d’exister

Travailler dur, bien, dans l’ombre… et attendre qu’on vous remarque ? C’est un mythe. Le syndrome de la bonne élève pousse encore trop de femmes à croire que le mérite parlera pour elles. Or, ce silence volontaire coûte cher. 

Ce qu’on ne dit pas n’existe pas. Ce qu’on ne demande pas ne se négocie pas.

Valoriser son travail, se rendre visible, oser prendre la parole : ces gestes ne relèvent pas de l’ego mais de l’autonomie. L’autopromotion ne consiste pas à se vanter, mais à revendiquer ce qui est dû.

De surcroît, négocier son salaire, son périmètre, ses projets, s’apprend. Et s’exerce. Même sans intention de bouger, passer des entretiens régulièrement affine les arguments, clarifie ses attentes, alimente sa stratégie de carrière.

Être soi-même en entretien… et après

Un entretien d’embauche ne fonctionne pas à sens unique. Il ne s’agit pas d’impressionner, mais d’évaluer la compatibilité réciproque. Adopter une posture conforme pour passer le filtre expose au risque d’entrer dans un environnement toxique ou désaligné.

Mieux vaut formuler clairement ce que l’on cherche, ce que l’on refuse, ce que l’on espère. Le rôle idéal n’existe pas : en revanche, une entreprise alignée sur vos valeurs, votre rythme d’apprentissage ou votre autonomie — ça, oui.

Une fois en poste, il ne faut pas se taire. Proposer, questionner, affirmer, partager. C’est en affirmant ses positions qu’on commence à peser dans les décisions.

Les leviers systémiques pour rendre visible la moitié de l’humanité

Des recruteuses qui bousculent les pratiques établies

Tout commence à l’entrée. Et cette porte d’entrée — le recrutement — a longtemps servi de filtre opaque pour les femmes. Pas besoin de discours ouvertement sexistes : les biais implicites s’en chargent.

Certaines recruteuses, aujourd’hui, retournent la table. Leur approche repose sur un principe simple : objectiver chaque étape du recrutement. Fini les « impressions » laissées en salle d’entretien. Place aux scorecards, aux trames d’évaluation partagées, aux panels mixtes composés de profils variés, issus de plusieurs pôles de l’entreprise.

Et surtout, la data guide chaque décision : ratios femmes/hommes dans les « pipes », répartition des promotions, grille d’évaluation comparative par niveau de poste. C’est une approche itérative, mais redoutablement efficace.

De l’onboarding à la rétention : rendre visible dès le premier jour

L’inclusion ne se décrète pas. Elle s’incarne dès les premiers jours. Et trop d’organisations se focalisent sur la diversité des recrutements tout en négligeant la rétention des talents féminins. Résultat : les femmes entrent… et partent ! 

À l’inverse, des structures comme l’AFNIC ont compris que l’inclusion doit infuser toute l’expérience collaborateur. Onboarding paritaire, mentors internes, visibilité des rôles modèles dans tous les départements, career path lisible, grille de salaires transparente, revues de performance objectivées… Chaque point de contact devient une brique d’équité.

Et les résultats parlent : 92 % de satisfaction sur la QVT, 1,5 % d’absentéisme, turnover proche de zéro. Bonus : l’AFNIC fonctionne depuis plus de 20 ans sur une semaine de 4 jours. Oui, c’est possible.

Le rôle pivot des écoles, bootcamps et formations féminisées

Trop souvent, on cherche les talents féminins là où elles ne se trouvent pas. Or, elles existent. En nombre. Il suffit d’ouvrir les yeux.

Les reconversions féminines représentent aujourd’hui près de la moitié des parcours tech non académiques. Et pour cause : formations courtes, professionnalisantes, flexibles, elles répondent aux contraintes spécifiques des femmes en transition de carrière, souvent en charge de familles, souvent éloignées de l’emploi, parfois sans bagage technique.

Des structures comme Ada Tech School, Simplon, MotivHer, Le Wagon ne se contentent pas de former. Elles accompagnent. Mentorat, pairs féminins, pédagogie non compétitive, valorisation des soft skills : tout est pensé pour recréer la légitimité technique là où elle a été niée.

Reprogrammer la Tech : vers une culture de la responsabilité partagée

Du care à l’empowerment technique

Product, UX, coordination, RH, management transversal… Ces postes, fortement féminisés, sont régulièrement considérés comme « non techniques ». Pourtant, ils mobilisent des compétences clés : organisation, priorisation, vision produit, gestion du changement. Le paradoxe ? Ces rôles d’interface structurent les produits, mais donnent peu de prise au pouvoir.

Réinvestir les fonctions techniques — développement, architecture, cybersécurité, infrastructure — devient une urgence stratégique. Pas pour « rattraper un retard », mais pour reconfigurer l’ADN même des systèmes numériques. 

Ce basculement n’implique pas d’abandonner le care, mais de le traduire en pouvoir décisionnel.

Et dans les faits, des développeuses, architectes ou lead tech savent parfaitement concilier technicité et attention aux usages. Ce qui manque ? L’accès aux postes clés, aux promotions, à la direction produit.

Masculinité toxique, féminité punitive : l’affaire de toutes et tous

Les scripts virilistes ne nuisent pas qu’aux femmes. Ils écrasent aussi les hommes. Pression à la performance, invisibilisation des émotions, valorisation des horaires démesurés… 

La masculinité traditionnelle enferme. Elle dissuade les pères d’être présents, pousse les jeunes talents à masquer leur vulnérabilité, rend suspect tout comportement collaboratif.

Sortir de ce modèle implique une transformation profonde. Former les managers à repérer les signes de sexisme, créer des espaces de parole mixtes, légitimer l’égalité comme un enjeu d’équipe : ces gestes collectifs renversent les dynamiques sans dramatiser.

Un allié, ce n’est pas quelqu’un qui « sait ». C’est quelqu’un qui écoute, observe, partage l’espace, et agit quand c’est nécessaire.

Hacker les mots, les normes et les symboles

Dans la tech, le vocabulaire façonne les représentations. « Les devs », « le CTO », « le lead tech », « le boss technique » : autant de formulations qui conditionnent l’imaginaire collectif à des figures masculines. 

Résultat : les femmes ne se projettent pas, les autres ne les voient pas.

Reformuler, doubler les formes, féminiser les exemples, épicéniser les titres… Ces ajustements sont susceptibles de produire des effets concrets sur l’inclusivité des offres, des interactions, des trajectoires.

Passer de témoin à moteur du changement

La sous-représentation des femmes dans la Tech ne résulte ni d’un désintérêt, ni d’un manque de compétences. Elle provient d’un empilement de normes invisibles, de mécanismes implicites, de structures paresseuses. Et ce système, nous en sommes tous les rouages.

Changer les choses ne relève pas de la bonne volonté, mais d’un choix stratégique : créer une Tech plus juste, donc plus performante, plus robuste, plus humaine.

Petit florilège des préjugés et fausses croyances sur les femmes dans la Tech

« Mais la tech, ça n’intéresse pas les filles, non ? »

→ Les filles sont désintéressées… des environnements hostiles. Quand on forme, encourage et visibilise, elles répondent présentes.

« On ne va pas faire de discrimination positive quand même ? »

→ Objectiver les biais n’a rien à voir avec favoriser l’incompétence. Il s’agit de redonner l’accès à des profils historiquement écartés.

« Les femmes sont moins techniques, c’est une question d’affinité. »

→ Aucun test de QI, aucun algorithme, aucune étude sérieuse ne valide cette croyance. L’auto-censure, en revanche, est bien documentée.

« Y’a des femmes dans la Tech, j’en connais une ! »

→ Merci. Une femme n’est pas une caution. Ni un quota à cocher. Diversifier ne signifie pas simplement intégrer une exception.


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